Portrait de l’abbé Desfontaines

Portrait de l’abbé Desfontaines dans le Portier des Chartreux (1741)

« Le père Casimir était d’une taille médiocre, brun de visage, portant un ventre de prélat. […] Il avait des yeux qui vous enculaient de cent pas, et dont le regard farouche ne s’attendrissait qu’à la vue d’un joli garçon, alors le bougre entrait en rut, il hennissait. Sa passion pour le cas antiphysique était si bien établie, qu’il était redoutable  aux Savoyards mêmes ; cependant il ne manquait pas d’adresse pour faire tomber les oiseaux dans ses filets, il était auteur et bel esprit à la mode, censeur caustique, écrivain sec, louangeur fade, plaisant sans légèreté, ironique sans délicatesse. Il s’était fait un nom par quelques ouvrages qui devaient leur réputation plutôt à la sottise de ceux qu’il dénigrait qu’à leur propre mérite ;  le succès de ses brochures le consolait des coups de bâton dont les auteurs mécontents payaient quelquefois les observations malignes qu’il faisait courir sur leurs écrits. Il faut pourtant avouer que ces auteurs avaient tort de faire tomber sur lui leur colère ; car quoique les satires parussent sous son nom, le pauvre père n’y avait souvent d’autre part, que le soin qu’il s’était donné de rédiger les manuscrits de quelques jeunes gens qui travaillaient sous ses yeux. Il cultivait précieusement les petits talents qu’il leur connaissait, leur distribuait la matière, revoyait leur ouvrage, le faisait imprimer, et en recueillait les fruits, qui quelquefois étaient bien amers : il n’en était pas moins hardi ; et tel que l’avare qui se console des huées du peuple en ouvrant son coffre-fort, les ris qu’il excitait dans le public, aux dépens des auteurs, essuyaient les larmes que ceux-ci lui faisaient verser dans le particulier. […] »

(Le modèle de ce portrait, pourtant transparent, n’est pas identifié dans l’édition de la Pléiade – Romans libertins du xviiie siècle, 2000, p. 440-441)