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Titre de Périodique

Notes

Une lettre sur la mode, insérée dans le n° 26 (28 juin) a souvent été citée par la presse de 1776 (Journal de politique et de littérature, 5 juillet ; Courrier du Bas-Rhin, 17 juillet ; Journal politique de juillet, seconde quinzaine ; Journal encyclopédique d'août ; Esprit des journaux d'août), puis par Hurtaut et Magny, Dictionnaire historique de la ville de Paris, 1779, t. III, art. « Modes » ; puis paraphrasé par Hugo dans les Misérables.
 

"Si les jeunes gens du sexe masculin, sont assujetis à l’étude de la langue latine, les Demoiselles qui désirent figurer dans le monde, ont une étude à faire au moins aussi difficile ; celle du langage, de la toilette et de l’habillement. C’est dommage que ce langage ne soit que momentané, et que son peu de durée ne donne pas le temps d’imprimer un Dictionnaire pour en faciliter l’intelligence. C’est en faveur des Dames et des Demoiselles du bon ton, qui honorent nos feuilles de leurs regards, que nous allons insérer ici la copie d’une lettre de Paris à ce sujet.
Les Dames se coiffent toujours très haut, le toupet en avant et les racines des cheveux coupées en vergettes ; le point que le toupet fait en avant sur le front, s’appelle physionomie : les boucles qui accompagnent ce toupet sont très grosses et séparées, on les appelle attention ; elles mettent des bonnets fort grands, garnis de fleurs et de rubans anglais. Derrière le bonnet est un assemblange de panaches de différentes couleurs, soutenus par un anneau de diamants, qu’elles ne mettent plus sur la tête. Le nombre des bonnets à la mode est très considérable : on en compte deux cents de différentes espèces, depuis la somme de 10 liv. jusqu’à 100 liv. Les panaches sont d’une grandeur prodigieuse ; et lorsqu’ils sont blancs, on y joint une plume de la couleur de la robe, ou bien noire.
La robe de la couleur la plus à la mode, est appelée cheveux de la Reine. À celle-là succède la couleur puce : on porte les robes garnies de la même étoffe : le satin paille à boyau est surtout fort en vogue ; on les garnit de différentes façons, soit en gaze, soit en dentelle ou fourrure : on compte 150 espèces de garnitures ; ensuite viennent les satins brochés et peints, qui ont chacun un nom : les plus à la mode sont couleur de  soupir étouffé : les vert de pomme rayé de blanc, ont aussi un grand succès : on les nomme vive bergère : on porte les rubans qui tranchent le plus. Voici les noms de quelques garnitures ; les plaintes indiscrètes, la grande réputation, l’insensible, le désir marqué ; il y en a à la préférence, aux vapeurs, au doux sourire, à l’agitation, aux regrets, à la composition honnête, etc. Les paniers sont petits, mais épais par le haut : les souliers sont constamment couleur de puce, ou des cheveux de la Reine : c’est dans cette parure que se distingue surtout la magnificence des Dames ; ils sont brodés en diamants, et on n’en porte presque plus ailleurs ; aussi rien n’est si beau que les pieds d’une femme, quand même elle ne serait pas jolie. Les Dames aujourd’hui n’osent se montrer que lorsqu’elles ont les pieds comme un écrin : les souliers sont étroits et longs, la raie de derrière est garnie d’émeraudes ; on l’appelle le venez-y-voir : les mantes sont bannies, on porte pour fichu une palatine de duvet de cygne, qu’on appelle un chat ; chaque femme a un chat sur le col : derrière les épaules, elles ont une machine de dentelle, de gaze, ou de blonde, fort plissée, qu’on appelle archiduchesse, ou Médicis, Henri IV, ou collet monté. Les rubans les plus à la mode s’appellent attention, marque d’espoir, œil abattu, soupir de Vénus, un instant, une conviction.
Madame*** était dernièrement à l’Opéra avec une robe soupir étouffé, ornée de regrets superflus, avec un point au milieu, de candeur parfaite, une attention marquée, des souliers des cheveux de la Reine, brodés en diamants en coups perfides, et le venez-y-voir en émeraudes ; frisée en sentiments soutenus, avec un bonnet de conquête assurée, garni de plumes volages, avec des rubans d’œil abattu, ayant un chat sur les épaules, couleur de gens nouvellement arrivés, derrière une Médicis, montée en bienséance avec un désespoir d’opale, et un manchon d’agitation momentanée."
 

Année

1776